Lors du repérage, 49 distilleries industrielles ont été recensées ; 43 d'entre elles étaient des distilleries d'eaux-de-vie de cognac, deux des distilleries de betterave (à Aigrefeuille et Pons), deux des fabriques de liqueurs (à Aulnay et Pons), une d'alcool d'Etat à Port-Maubert (Saint-Fort-sur-Gironde) et une de gemme (résine de pin) à Clérac (distillerie Poupelain). Sur les 43 distilleries d'eau-de-vie de cognac, 25 sont toujours en activité.
Distilleries d'eaux-de-vie de cognac
Si les vins des Charentes étaient distillés depuis déjà fort longtemps, ce n'est qu'au cours du
XVIIe siècle que le cognac, tel qu'on le connaît actuellement, fut élaboré en faisant subir au vin deux rectifications successives. Les premiers importateurs de ce produit furent des Anglais et des Hollandais, qui créèrent des maisons de commerce à Cognac et dans sa région. Devant le succès des exportations, les plantations de vigne augmentèrent et couvrirent bientôt toutes les terres de
Charente et Charente-Maritime appropriées à cette culture. Au XIXe siècle, le commerce du cognac apporta à ces territoires une très grande prospérité. Dans les années 1880, le phylloxéra mit un terme à cet état de fait, mais peu à peu la crise fut jugulée, et les plantations furent partiellement reconstituées. Cette crise ne toucha pas trop les négociants munis de stocks importants, mais en ruinant les petits exploitants, elle transforma fondamentalement l'organisation de la production ; la distillation industrielle se développa au détriment des bouilleurs de cru ne travaillant que leur propre récolte. Quelques petites entreprises, fermes-distilleries, perdurèrent, mais le gros de la production fut alors aux mains de grandes maisons de commerce qui installèrent des établissements pour contrôler la distillation.
Il n'est pas toujours facile de savoir si un négociant possédait ou non une distillerie : à Saint-Jean-d'Angély par exemple, il ne subsiste aucun atelier de distillation, seuls les chais sont encore visibles, et pourtant certains négociants distillaient eux-mêmes leur production.
En 1880, 1025 distilleries agricoles sont recensées dans le département (200 dans l'arrondissement de Saintes, 780 dans celui de Saint-Jean-d'Angély, aucune dans l'arrondissement de Jonzac déjà atteint par le phylloxéra, 40 dans celui de Marennes, AD Charente-Maritime, 11 M 3/4). Ces distilleries emploient 1495 personnes.
Les premières distilleries industrielles datent des années 1850-70, mais elles sont peu nombreuses : distillerie Vallein-Tercinier à Chermignac vers 1850, Dompierre-sur-Mer vers 1870. En revanche, les distilleries les plus évoluées s'installent dans les années 1890-1900. Elles sont édifiées pour des négociants, que la crise phylloxérique a enrichi en raison de la valorisation de leur stock d'eau-de-vie. Ils vont désormais distiller eux-mêmes le vin qu'ils achètent. C'est le cas d'Edgard Gautret à Jonzac, par exemple, ou Rouyer-Guillet, à Saintes, vers 1880. Le phylloxéra contribue paradoxalement à enrichir l'industrie du cognac au détriment des campagnes voisines en favorisant la concentration de la distillation dans les grandes maisons de négoce. Certaines d'entre elles possèdent plusieurs distilleries, ou aident à la construction de certaines, avec lesquelles sont passés des contrats liant le distillateur au négociant pour la commercialisation, mais également pour la méthode de fabrication. La maison Martell de Cognac possède ainsi une distillerie à Saint-Maigrin, et plusieurs autres distilleries lui fournissent l'eau-de-vie comme celle de la Perruge à Chérac, celle du vicomte van Lampoël à Saint-Genis-de-Saintonge. Au total, sur les départements de la Charente et de la Charente-Maritime, dans les années 1970, la maison Martell, qui en possède 5, est liée avec 13 distilleries indépendantes par un contrat d'exclusivité, et par un contrat libre avec 57 autres. A Saint-Hilaire-de-Villefranche, François Mounier ; viticulteur, reçoit l'aide financière de la maison Hennessy (pour laquelle il va distiller), lors de la construction et l'équipement de son atelier de distillation. Deux autres des distilleries recensées ont un contrat avec la maison Hennessy. En tout état de cause, cette activité, tout en revêtant une forme originale dans ce département, est fortement dépendante de la région de Cognac. De 1909 à 1935, les viticulteurs et les négociants entreprennent le renouvellement du vignoble avec des cépages plus productifs et tracent définitivement la carte des crus.
En Saintonge, suite à la crise phylloxérique, la distillerie industrielle devient une activité participant à la mise en valeur des domaines, au même titre que l'élevage. Alors que les campagnes se vident, les riches propriétaires viticoles, négociants le plus souvent, entreprennent l'édification de belles demeures au centre de leurs domaines, qu'ils vont chercher à valoriser en diversifiant leurs activités. A une partie agricole, qui s'appuie essentiellement sur la culture de la vigne et en moindre part sur l'élevage, va s'associer une distillerie transformant le vin du domaine et la production de petits viticulteurs voisins. De nombreux exemples de ces domaines existent aux alentours de Jonzac tels ceux de la Boulennerie, la Pérauderie, Chailleret.... Le domaine des Dupuy-d'Angeac à Brives-sur-Charente compte 187 ha dont 178 ha cultivables. Certains de ces domaines comprennent à la fois une distillerie et une laiterie : M. Bégouin, négociant et propriétaire des domaines de Chailleret à Champagnac et de la Boulennerie à Jonzac, dans lesquels il créé des distilleries, fonde une laiterie non loin de là.
L'essor de la distillation industrielle s'accompagne du développement de nombreuses activités connexes, permettant le conditionnement, le transport, la vente ou la transformation du produit des vignerons. La tonnellerie était autrefois le premier de ces métiers annexes. Actuellement deux tonnelleries fonctionnent encore dans le département à Salignac-sur-Charente et à Jonzac.
La coopération : exemple de l'île d'Oleron
Au siècle dernier, la presque totalité de l'île d'Oleron est couverte de vignobles appartenant à la bourgeoisie locale. Le phylloxéra, apparu ici en 1879, n'a pas les mêmes conséquences que sur le reste du département. La ruine des grands propriétaires provoque la revente de leurs terres à de petits exploitants, qui vont peu à peu reconstituer le vignoble à partir de vignes greffées sur des plants américains (Roger Bithonneau. La vigne dans l'île d'Oleron, in : Les Cahiers d'Oleron, n° 18, avril 1995). A partir de 1925, ces petits viticulteurs donnent l'élan de la coopération viticole. La première coopérative de l'île s'installe à Bonnemie dans un ancien chai dépendant du château. Son but est la vente des vins et la fabrication d'eau-de-vie. Dès 1927, deux autres coopératives de distillation voient le jour dans l'île : la Vinicole, qui s'installe à la sortie de Saint-Georges sur la route de l'Ile, et La Charentaise vinicole, dans les anciens locaux Soudoix de Bel-Air à Saint-Pierre. C'est cette dernière qui fait construire la première cave de vinification inaugurée en 1938. Le bâtiment, qui comporte trois travées à l'origine, est agrandi par la suite par cinq autres. En 1949 est créée une coopérative de vinification et de distillation à Saint-Georges, qui construit une cave « ultramoderne », Le Cellier oleronnais : c'est la quatrième dans l'île. Roger Couneau, distillateur indépendant, arrête son commerce et en devient directeur. La même année est édifiée à Bonnemie un ensemble de cuverie pour le vin, complété en 1953 par une unité de distillation. En 1955 est créée la cinquième coopérative de l'île, qui fait construire en 1960 une cave à Saint-Pierre, rue de la Corderie (fig.l, 2). En 1960, 90 % de la récolte oleronnaise sont transformés et commercialisés au sein des cinq coopératives implantées sur l'île, et au total, en 1972, 1320 exploitants en sont membres (Pierre Denieau. Histoire du vignoble, in : Les Cahiers d'Oleron, n° 16, juillet 1994). Aujourd'hui, le vignoble oleronnais représente à peine 900 ha, et une coopérative unique, issue du regroupement des cinq caves d'origine, transforme 65 % de la récolte. Des viticulteurs indépendants traitent et commercialisent eux-mêmes le reste de la production.
D'autres coopératives de distillation voient le jour dans le département. Elles sont pour la plupart situées en régions de bois. En 1920, une coopérative fait bâtir une distillerie d'eaux-de-vie de cognac à Saint-Georges-du-Bois, d'autres existent à Saintes et à Jonzac.
Implantation des distilleries :
Le processus de la distillation exige de grandes quantités d'eau pour le système de refroidissement des alambics, d'où le choix de sites en bordure d'une rivière comme les distilleries Rouyer-Guillet et Martineau à Saintes, alimentées par un système de pompage de l'eau de la Charente. Des distilleries s'installent même sur le site d'anciens moulins, comme les distilleries Martell à Saint-Maigrin et Perrier à Pons. D'autres sont alimentées par des puits, mais le plus souvent l'eau de pluie est récupérée dans de grands bassins, comme au domaine de Chailleret à Champagnac, ou dans des cuves, comme à la distillerie Camus de Saint-Hilaire-de-Villefranche.
La majorité des distilleries s'installe sur un coteau, de manière à ce que le vin stocké dans des cuves arrive par le simple fait de la gravitation dans les alambics situés en contrebas. Une telle implantation est celle de la distillerie de la Perruge à Chérac, celle de Rouyer-Guillet à Saintes. Ailleurs, le chai à vin est surélevé, comme à la Pérauderie à Jonzac, ou bien des cuves sont placées en hauteur, comme dans la distillerie Gautret de Jonzac.
Le vin était livré en fûts, transportés par charrettes dans la majorité des cas (doc. 1), ou bien par le train. Des distilleries s'installent donc près d'une voie ferrée, comme la distillerie Jaulin à Pons sur la ligne d'intérêt secondaire qui relie Saint-Thomas de Conac à Saint-Jean-d'Angély. Après la seconde guerre mondiale, les charrettes sont remplacés par des camions ; actuellement, ce transport s'effectue par camion-citerne. L'eau-de-vie peut être livrée dès sa fabrication dans les grandes maisons de cognac qui se chargent du vieillissement. Cette livraison s'effectue là encore soit en charrettes, puis par camion, soit par le train. Elle peut également être stockée dans des chais de vieillissement, puis être mise en bouteilles et acheminée vers les consommateurs. Jusqu'aux années 1880, où le train devient un sérieux concurrent pour le transport, la plupart des eaux-de-vie étaient acheminées par la Charente. Les distilleries de Saintes par exemple possédaient des quais de chargement sur le fleuve, tout comme les distilleries de Saint-Jean-d'Angély sur la Boutonne. A Tonnay-Charente, les marchandises étaient déchargées directement des gabares qui les avaient amenées à bord des navires, pour être exportées en Grande-Bretagne, les pays nordiques, etc.
Composition d'ensemble et parties constituantes
Les diverses opérations nécessitées par la fabrication et le négoce de l'eau-de-vie (réception des eaux-de-vie, distillation, vieillissement, coupe, expédition) impliquent l'implantation de grands ensembles immobiliers comprenant généralement autour d'une vaste cour, les ateliers, les chais, le bureau, un logement. Les grandes maisons possédaient leur propre atelier de tonnellerie, un chai de mise en bouteilles et en caisses (doc. 2, 3). C'était le cas par exemple des maisons Rouyer-Guillet ou Martineau à Saintes. Ces ensembles restent cependant plus modestes que dans la région de Cognac.
Dans les domaines se rassemblent autour de la maison de maître les divers bâtiments de ferme et de distillerie dans un ordre dispersé. Les bâtiments concernant l'activité de distillation se composent dans tous les cas d'un chai où est stocké le vin avant sa distillation. Entre les deux guerres, le vin devait être stocké chez le distillateur 48 h avant sa distillation, d'où la présence de grands chais à vin. Parfois ce chai est couplé avec l'endroit où sont installés les pressoirs (à la Boulennerie à Jonzac, à Chailleret à Champagnac). L'atelier de distillation et les chais de vieillissement sont plus ou moins grands selon les cas. L'embouteillage, lui, ne nécessite pas de très grands locaux. Actuellement ce bâtiment de conditionnement doit se situer à l'extérieur du domaine (Brives-sur-Charente, Chermignac). De grands bassins sont ménagés, certains pour la récupération des eaux de pluie, d'autres pour la réception des vinasses, résidus de la distillation. Un château d'eau est présent dans les domaines de la Pérauderie à Jonzac et dans celui des Dupuy-d'Angeac à Brives-sur-Charente. Une éolienne permet le pompage de l'eau pour l'alimentation de la distillerie du Clône à Pons.
Le bâti :
Les distilleries agricoles étaient généralement constituées d'un petit atelier de distillation comptant un ou deux alambics, appelés « chaudières ». Au château de la Péraudière à Dompierre-sur-Mer subsiste le local de distillerie antérieur à 1872, date de la création de la distillerie industrielle. Cet atelier ne se différenciait guère des bâtiments des communs, dont il constituait l'un des éléments. En revanche, par ses dimensions, la distillerie industrielle va se distinguer complètement de la distillerie agricole.
On constate que dans la plupart des cas, la distillerie et ses annexes sont bâtis en même temps : chez Mounier à Saint-Hilaire-de-Villefranche, les chais, la distillerie et la demeure sont édifiés entre 1887 et 1897, dans les distilleries Richard de Montguyon et Cassin à Orignolles, les bâtiments de plan massé sont bâtis en 1893 pour les premiers, et 1910 pour les seconds.
Les techniques qui n'ont guère évoluées depuis un siècle n'ont pas engendré de transformations majeures des bâtiments d'origine. Seule l'augmentation des volumes des chaudières a parfois entraîné la construction de bâtiments nouveaux. Au château du Gibeau, à Marignac, trois distilleries se sont succédées : la deuxième, construite dans les années 1950, a été remplacée par la troisième en 1990. A Saint-Palais-de-Négrignac et Blanzac-lès-Matha, on reconstruit de nouvelles distilleries en 1963 et 1968 pour accueillir des chaudières de plus grandes capacités. A la Perrruge à Chérac, à Saint-Palais-de-Négrignac et dans l'ancienne distillerie Martineau à Saintes, des ateliers sont bâtis pour accueillir des chaudières de très grande capacité assurant la première chauffe : 115 hl pour celles de Saint-Palais-de-Négrignac installées en 1990. Ailleurs un simple agrandissement des bâtiments préexistants a suffi à répondre aux nouveaux besoins : agrandissement de l'atelier de distillation (chez Jaulin à Pons, chez Vallein à Chermignac), ou surélévation du chai à vin (à la Boulennerie à Jonzac, il est exhaussé dans les années 1960 pour pouvoir accueillir de grandes citernes en aluminium). En général n'ont été ajoutées que des citernes à l'extérieur.
Contrairement aux laiteries, il n'existe pas de plan type pour les distilleries. La disposition des bâtiments est, semble-t-il, surtout fonction de la topographie. Lorsque cela est possible, la distillerie est située en contrebas du chai à vin précédé, lui, d'un quai de réception (ce quai n'existe cependant pas partout). Généralement les deux corps de bâtiment sont contigus et parallèles, mais à la distillerie Cassin à Orignolles, le chai à vin se situe au rez-de-chaussée et l'atelier de distillation, dessous, à l'étage de soubassement. L'élévation antérieure de cette distillerie est tripartite : de part et d'autre de la porte d'accès au chai au centre, deux logements présentent leur pignon. Une composition en U, avec des ailes en retour encadrant le quai de réception du raisin, peut se voir dans quelques établissements, comme l'ancienne distillerie coopérative de Saint-Georges-du-Bois bâtie en 1920. Les chais de vieillissement, lorsqu'ils existent, sont soit juxtaposés aux autres bâtiments, soit situés un peu plus loin.
Le traitement architectural de ces établissements est généralement approprié à l'image de marque du produit qui y est élaboré, notamment par l'utilisation de matériaux de bonne qualité et des ordonnances sobres mais régulières. Les ateliers de distillation sont généralement de grands bâtiments de plan rectangulaire. Chez Mounier, elle mesure 50 m de long sur 8 m de large. Les murs, comme ceux des autres bâtiments, sont en moellon enduit avec utilisation de pierre de taille aux encadrements de baies et chaînes d'angle (doc. 4). Cependant, dans quelques cas, la pierre de taille est employées en gros œuvre (doc. 5) à la Boulennerie à Jonzac, chez Martineau à Saintes par exemple. A la distillerie Cassin à Orignolles, la brique est employée avec la pierre de taille en décor pour les encadrements et les chaînages. Les bâtiments sont généralement en rez-de-chaussée et sont identifiables grâce aux nombreuses souches de cheminées qui les coiffent. L'ensemble des bâtiments est couvert d'une charpente en bois ; la charpente métallique apparaît seulement dans les années 1960, soit dans les constructions nouvelles, soit dans les transformations comme à la Boulennerie à Jonzac. A l'intérieur des chais, des poteaux en bois, despiliers de pierre ou des colonnes en fonte supportent les planchers supérieurs. Leur sol se compose d'une partie en terre battue, où sont stockés les tonneaux, et des allées cimentées ou dallées.
La prestigieuse image du cognac est, plus encore, illustrée par le décor de certains bâtiments. Le logement patronal de la distillerie Rouyer-Guillet, à Saintes, est orné de sculptures symbolisant l'activité professionnelle de ses propriétaires. L'emblème de ces derniers est également représenté, sur le fronton de plusieurs portes de l'établissement, sous la forme d'un angelot portant une coupe. A Saint-Jean-d'Angély, les armoiries de la maison Rogée-Fromy sont figurées sur le linteau de la porte centrale de l'atelier de fabrication. Traité dans le style Renaissance, le décor de la façade de la distillerie Robert à Saint-Jean-d'Angély est tout à fait exceptionnel (photo).
A partir des années 1940, les constructions des coopératives de l'île d'Oleron se démarquent complètement du modèle passé : dès 1938, la Charente vinicole construit un bâtiment entièrement en béton armé et parpaing de béton à Saint-Pierre-d'Oleron, couvert de voûtes en berceau segmentaire en béton armé. Dans ces coopératives existent de grands volumes capables d'accueillir à la fois des pressoirs, des alambics et une grande capacité de stockage.
En ville, les logements patronaux des distilleries sont d'opulentes maisons bourgeoises, le plus souvent en pierre de taille, au décor extérieur et intérieur soigné (distillerie Girard, à Tonnay-Charente). Dans les domaines, les distilleries sont associées à des châteaux (ou à des grandes maisons de maître), le plus souvent préexistants comme celui des Dupuy d'Angeac, à Brives-sur-Charente, datant de 1824. D'autres logis sont transformés lors de la reconversion de la propriété (la Pérauderie, à Jonzac). D'autres encore sont des constructions nouvelles répondant mieux aux besoins de promotion d'un produit de prestige (la Perruge, à Chérac).
Equipement et fonctionnement :
Le processus de fabrication n'a connu au cours des temps que des changements marginaux. Rappelons que les vins transportés dans des fûts sur des charrettes sont versés, à leur arrivée, dans une trappe, d'où ils coulent par gravitation dans les cuviers du chai à vin. Ailleurs, des pompes permettent de remplir les cuves. Avant l'électrification, ces pompes fonctionnaient mécaniquement ou bien grâce à un groupe électrogène, comme celui installé à la distillerie Mounier de Saint-Hilaire-de-Villefranche dès 1900.
Depuis le XVIIIe siècle, l'alambic a assez peu changé, hormis la forme de l'une ou l'autre de ses pièces maîtresses. Il est constitué d'une chaudière ou cucurbite, où est chauffé le vin, surmontée d'un petit chapiteau, où sont recueillies les vapeurs d'alcool qui sont ensuite refroidies dans un serpentin à l'intérieur d'une pipe (ou réfrigérant). Le chauffe-vin, qui permet une économie de chauffage en préchauffant le vin, est banni des distilleries travaillant pour la maison Martell. Dans les distilleries van Lampoël de Saint-Genis-de-Saintonge et Rouyer-Gullet à Saintes, les chauffe-vin reposent sur des colonnes en pierre. Tous ces éléments sont de cuivre rouge battu, assemblés avec des clous de cuivre rivés, et montés sur un fourneau en maçonnerie (doc. 7). On assiste seulement à l'accroissement du volume des chaudières ; à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les capacités moyennes sont de 7 à 9 hectolitres, mais à partir des années 1960, les chaudières de 25 hectolitres s'imposent. Les plus grandes, de 50 hl à 115 hl, sont réservées, elles, à la première chauffe.
Les alambics proviennent généralement de la région (Chalvignac de Jarnac-Champagne, Binaud à Burie, Maresté à Cognac, Pruhlo à Merpins, Vernhes à Cognac). Plus récemment, les établissements E. Orthes d'Agen ont équipé un certain nombre de ces usines.
Dès les années 1890, quelques précurseurs installèrent leurs chaudières en ligne, séparant ainsi la partie chauffe de la partie noble (la réception de l'eau-de-vie à la sortie du refroidisseur). Les alambics de la distillerie Jaulin à Pons sont ainsi disposés (cf. schéma). Cette conception en ligne se retrouve dans quelques autres distilleries : chez Mounier à Saint-Hilaire-de-Villefranche en 1889, à la Pérauderie à Jonzac en 1890. Dans ces deux distilleries, les divers organes composant l'alambic sont même situés dans des ateliers différents. Pour plus de sécurité, des portes coupe-feu sont installées entre la partie chauffe et la partie refroidissement dans la distillerie de la Pérauderie. Cette conception en ligne correspond aux normes actuelles de sécurité.
Le traditionnel chauffage au bois est très tôt remplacé par le charbon, qui arrive d'abord par le train ou par charrette, puis par camion, de La Rochelle, Rochefort ou Tonnay-Charente, et est ensuite acheminé à l'intérieur de la distillerie par wagonnet. Puis, entre 1970 et 1990, toutes les distilleries sont équipées au gaz, pour un meilleur contrôle, et surtout pour l'allégement du travail du chauffeur. C'est également à cette époque que sont mis en place les contrôles électroniques et informatiques des systèmes de distillation.
Le système de refroidissement varie d'une distillerie à l'autre. Il peut être à eau perdue lorsque l'établissement est situé près d'une rivière. Cependant, il n'est plus autorisé actuellement de rejeter des eaux tiédies, et les distilleries doivent se doter d'un groupe de refroidissement (distillerie Jaulin à Pons). A la distillerie Mounier à Saint-Hilaire-de-Villefranche, le circuit de refroidissement consistait en des dalles en zinc longues de 50 m installées à l'extérieur, complétées par un bassin. A la distillerie Perrier à Pons, les pipes se trouvent à l'extérieur et l'eau est directement pompée dans la rivière
A l'intérieur du chai de vieillissement Rouyer-Guillet à Saintes existait un monte-charge à treuil permettant de descendre les fûts du rez-de-chaussée jusqu'au deuxième étage de soubassement.
Les résidus ou vinasses pouvaient être retraités sur place dans des fours à galette de tartre pour leur transformation en acide tartrique, comme à Saint-Hilaire-de-Villefranche, ou livrés à une entreprise se chargeant de la transformation. Une telle usine existait à Saintes, mais elle a aujourd'hui disparu. Actuellement, les vinasses sont soit brûlées, soit décomposées par des bactéries, soit utilisées comme engrais dans les vignes.
Les fûts de bois de chêne, encore utilisés pour le vieillissement du cognac, sont remplacés pour toutes les autres opérations (coupes, attente avant la mise en bouteilles) par des cuves en inox. Le stockage des vins s'effectue dans des cuviers en béton ou en métal (fer avec un revêtement spécial). Depuis 1975 environ, les cuves installées à l'extérieur sont en fibre de verre.
La distillation est une activité saisonnière qui s'étendait autrefois du 1er ou 15 novembre jusqu'au mois de mars ou avril. Actuellement, la réglementation prévoit la fin de la campagne, au plus tard, le 31 mars à 24 h. Le nettoyage des chaudières se fait environ toutes les trois semaines. Dans les années 1900, à la distillerie Mounier de Saint-Hilaire-de-Villefranche, deux chaudières requéraient le soin d'un distillateur (cinq pour les dix chaudières), deux ou trois personnes s'occupaient de la réception des vins et du lavage des barriques, une personne était en permanence sur la route pour acheminer en charrette l'eau-de-vie à Cognac. De la sorte, dans une campagne, 8 à 10 000 hectolitres de vin étaient distillés.